Quels sont nos
idoles, nos fétiches, nos dieux actuels ? Dans "L'oreille
cassée", Tintin part à la poursuite du fétiche
des Arumbayas en conçu ence avec deux malandrins qui cherchent
à l'éliminer pour s'en emparer. Nous aussi, nous
courons après toutes sortes de dépendances et de
drogues, objets de nos désirs aliénés.
Les adolescents, atteints du
complexe du homard, ne jurent que par leurs dernières baskets,
arborent la cigarette conformiste. Les cadres suppriment la
frontière entre temps libre et travail et se droguent au
boulot. Que dire de ceux qui ne peuvent se séparer de leur
portable ou de leur télé, ou qui courent après
l'argent pour le dépenser dans une boulimie consommatrice ou
pour combler une insécurité profonde ?
Le pire des cas est
évidemment la drogue, dont on connaît l'extension
actuelle. Il faut dire: les drogues, depuis le tabac et l'alcool
jusqu'aux médicaments, en passant par l'héroïne et
le cannabis. Leur succès a plusieurs causes: l'absence de
raisons de vivre, l'idéologie du "jouir sans entrave", le
culte du sentir à la place de l'agir. Et le manque subjectif
finit par être remplacé par un autre manque à
répétition. De plus, par un effet de boomerang, l'offre
de drogues à des bien-portants crée chez eux
l'accoutumance, la dépression, la perte des critères du
bien et du mal.
La dépendance, au sens
d'esclavage caché, peut aussi se retrouver dans le couple. Le
choix du conjoint peut se révéler n'être,
inconsciemment, qu'une recherche d'un objet comblant nos manques, une
mère protectrice, un père castrateur, une passion
mortifère, un désir de sauver l'autre dans une relation
de dominant à dominé. Nos dépendances à
l'égard de nos fétiches procèdent du
désir de se faire dieu à la place de Dieu, de le
posséder ou de s'en passer. Nos convoitises, nos
anxiétés ne sont point celles de Jésus. Les
Béatitudes nous apprennent le chemin de notre liberté.
La recherche obsessionnelle du plaisir peut être
transformée de besoin tyrannique en grâce. Non point
s'emparer de l'idole de ton corps, mais te faire plaisir.
Le chemin vers la
libération nous est indiqué par le Christ. Il met en
route possédés et grabataires. Il
dépossède ceux qui sont possédés par
leurs biens. "Ils sont inconscients ceux qui transportent leurs
idoles de bois, qui prient un dieu qui ne sauve pas " (Isaie 45,20).
Ils sont sourds ceux qui courent après le fétiche qui,
lui aussi, a l'oreille cassée. Ils se condamnent à
périr, après avoir vainement
répété "Caramba, encore raté !" À
moins que le fétiche ne soit brisé et
révèle le diamant qu'il contient, celui qui est en
nous, le Dieu caché.
Michel Rouche

