par Xavier
Lacroix
Mais
qu'avons-nous tous, pauvres humains, à vouloir nous serrer les
uns contre les autres ? (1) Le désir de tendresse, qui
s'apparente parfois à un besoin, est profondément
ancré dans le coeur de chacun. Même si ce désir a
une histoire, même si notre culture le valorise
particulièrement, il correspond incontestablement à un
trait humain universel. (...) Les jeunes s'en bercent et la cultivent
de plus en plus tôt. Les amoureux sont regardés avec
attendrissement. Mais est-ce bien d'amour qu'il s'agit alors ?
Reconnaître le prix de ce qui advient dans la tendresse ne doit
pas empêcher d'oser interroger celle-ci de façon
critique. Car, si la tendresse est le premier nom de l'amour, elle
n'en est sans doute pas le dernier.
Quand le
coeur s'attendrit
«
Tendresse » vient de tendre. L'adjectif dit la merveille qui
advient lorsque le coeur de l'homme et de la femme, de dur qu'il
était, devient sensible, vulnérable. Lorsque le coeur
de pierre devient coeur de chair ( Ezéchiel 36,26 ). Chair et
tendresse ont cela de commun: la vulnérabilité. (...)
Dans la tendresse, deux faiblesses entrent en résonance et se
reconnaissent.
La
tendresse est promixité. L'autre devient proche, sensiblement
et réellement. L'aimée prend corps et chair, fragile et
forte à la fois, porteuse de la palpitation impressionnante de
la vie. Une intimité sans équivalence s'établit
entre deux êtres qui, naguère, étaient
étrangers. Un pont est jeté au-dessus de l'abîme.
Sans se confondre alors, le désir et la tendresse
s'entretiennent mutuellement. L'autre devient chair et cher(e) en
même temps (2).
La
tendresse introduit dans la relation une dimension nouvelle par
rapport à la parole. Au-delà (ou en deçà)
des mots, un débordement, une émotion, à
mi-chemin entre sensation et sentiment. Peu importe ce qui est dit ou
fait. La présence importe plus que les projets, l'être
plus que l'agir. L'unicité de la personne de l'autre n'est pas
seulement un postulat ou un objet de foi, elle devient quasi
sensible, certaine, bouleversante.
Son
visage, son corps, tout son être acquièrent un prix sans
égal, sa vie devient aussi précieuse que la mienne.
La
tendresse de l'amour
Tout cela
arrive comme une grâce, c'est-à-dire comme un cadeau,
gratuitement. Comme tout lien humain cependant, la tendresse est
beaucoup moins limpide lorsqu'elle est recherchée pour
elle-même ou lorsque l'on s'y installe avec complaisance. La
quête de tendresse, en effet, est toujours peu ou prou une
quête de soi. Quête de reconnaissance, confirmation de sa
valeur, sentiment de sécurité affective. Désirs
bien légitimes, certes, mais qui, s'ils sont dominants,
peuvent révéler une certaine immaturité ou une
incapacité à accéder à des relations plus
exigeantes. A des nourritures plus fortes.
C'est
sans doute pour cela que Tony Anatrella dit souvent que la tendresse
n'est pas l'amour (3). Même si leurs points communs sont
nombreux, même si la tendresse est incontestablement un des
noms de l'amour, elle demeure un sentiment. L'amour, au sens
plénier, est encore autre chose. Une orientation, un acte, un
vouloir. Aimer, c'est vouloir l'autre comme sujet (4). (...) L'amour
n'est pas seulement une palpitation du coeur; il est oeuvre,
construction, engagement. Oserons-nous rappeler que les moralistes
anciens le classaient, avec l'amitié, parmi les vertus ? (...)
La
tendresse doit donc être appréciée à sa
juste place. En reconnaître la saveur incomparable ne signifie
pas céder aux engouements ou aux propos inflationnistes qui
l'érigent en modèle de toutes les relations humaines.
L'amour d'amitié et l'amour de charité sont d'une autre
nature. Et toute relation humaine valable ne passe pas par l'amour !
Avoir un faible pour autrui peut être le commencement de
beaucoup de choses, mais savoir se nourrir du pain des forts est
aussi dans notre vocation.
(Extrait de l'article paru dans la Revue Alliance
N° 91 : La
tendresse
)
Docteur en théologie.
Directeur de l'institut des Sciences de la Famille de
Lyon.
Ouvrages de X.
Lacroix
© Alliance - 1998/9 (avec les
remerciements de PMC)

